mardi 1 août 2006

Laïcité dans la République


J'ai co-signé avec Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénnées, et d'autres collègues du Groupe Socialiste une proposition de loi visant à promouvoir la laïcité dans la République. J'ai toujours été particulièrement investie sur ce sujet à l'Assemblée Nationale et j'avais d'ailleurs également participé à une mission parlementaire sur la question du port des signes religieux à l'école. Voici la présentation de notre travail :
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’année 2005 a permis à la République de commémorer le centenaire de la loi du 9 décembre 1905 dite « loi de séparation des églises et de l’État ».
Cette grande loi est à la fois :
–une loi de liberté puisqu’elle protège une liberté individuelle fondamentale qui est la liberté de conscience ;
–une loi d’égalité puisqu’elle place toutes les convictions spirituelles sur un pied d’égalité : croyants des divers cultes, humanistes athées ou agnostiques jouissent des mêmes droits ;
–une loi de fraternité puisqu’elle constitue le fondement du « vivre ensemble » dans la République avec toutes nos différences, dans le respect de nos différences, mais sans jamais que l’une de ces différences ne dicte sa loi aux autres.
Cette loi participe à la définition de la Laïcité, qui est non seulement un combat permanent non pas contre les religions mais contre les intégrismes, pour le libre arbitre, l’esprit critique et l’esprit de rationalité, mais qui est aussi l’idéal d’un monde commun à tous au-delà de nos différences. Cette commémoration a montré la permanence de la valeur de laïcité, qui a toujours besoin d’être explicitée, concrétisée, traduite dans les faits et diffusée. Ce combat ne doit pas être laissé à ceux qui, de fait, n’ont qu’une obsession : revenir en arrière, remettre en cause ce grand pilier du pacte républicain. Il en va ainsi de ceux qui veulent remettre en cause la loi de 1905 ou bien qui plaident que le religieux vienne en aide à la République quand celle-ci n’assume plus sa mission dans nos banlieues. Ce combat doit être mené par les laïcs, ceux qui veulent que cette belle valeur ne soit pas seulement défendue mais d’abord et avant tout promue. Pour cela, plutôt que d’en rester à des théories parfois un peu abstraites, c’est à eux de traduire la laïcité au quotidien dans des propositions concrètes. Tel est le but de la présente proposition de loi qui comporte trois titres regroupant, pour chacun, un certain nombre de ces propositions concrètes : –la Laïcité dans la société ; –la Laïcité dans les services publics ; –la Laïcité à l’École.
I. – LA LAÏCITÉ DANS LA SOCIÉTÉ
L’article 1er crée un « Observatoire national de la laïcité ». Placé auprès du Premier Ministre, composé d’universitaires, de chercheurs, d’historiens, philosophes, sociologues, cet Observatoire aurait pour mission d’alimenter le débat public en travaux de recherche sur la laïcité, de rendre des avis – sur saisie du Gouvernement, du Parlement, ou sur autosaisine – sur les problèmes d’actualité soulevés par l’application du principe de laïcité et de répondre aux interrogations des particuliers sur le contenu exact de ce principe. Si l’on se réfère au travail réalisé publiquement par la « Commission Stasi » en 2003, cet Observatoire serait une « Commission Stasi permanente » ... ou bien une transposition au niveau de l’État de ce que le Parti Socialiste a mis en place depuis quelques années avec son « Université Permanente de la Laïcité ».
L’article 2 propose que l’Observatoire national de la laïcité élabore une « Charte de la Laïcité ». Cette Charte serait adoptée par le Parlement sur proposition de l’Observatoire national de la laïcité. Retraçant l’histoire du principe de laïcité et, surtout, édictant les conséquences concrètes qu’il entraîne pour l’organisation de la société et sur le contenu de la citoyenneté, cette Charte ferait l’objet de prestations de serment solennelles en mairie lors de l’accès à la majorité et de l’accès à la nationalité française.
L’article 3 traite du statut particulier d’Alsace-Moselle. La réaffirmation de la laïcité se conjugue mal avec ce statut. Dans l’attente de son abrogation pure et simple, qui pour être souhaitable, risquerait d’être mal comprise si elle n’était pas effectuée de façon progressive et expliquée, un aménagement paraît nécessaire. On doit, notamment, assurer la population que ne seraient pas affectés les droits sociaux dont elle bénéficie, et qui servent trop souvent de prétexte au maintien du concordat, alors qu’ils ne lui sont pas liés juridiquement. La pratique actuelle qui oblige les parents à effectuer une demande spécifique pour que leurs enfants soient dispensés de l’enseignement religieux, pourrait être modifiée. Il suffirait qu’un formulaire soit remis en début d’année scolaire aux parents afin qu’ils répondent positivement ou négativement à cette offre de cours. De même, l’enseignement de la religion musulmane doit être proposé aux élèves, au même titre que celui des autres religions. Dans le même esprit, il est souhaitable que, dès maintenant, soient enlevés les symboles religieux apposés dans les établissements scolaires publics, selon un processus soucieux de ne pas heurter, accompagné d’explications indiquant que ce n’est pas faire violence à la référence religieuse que de considérer qu’elle n’engage que certains croyants, et ne doit donc pas s’imposer dans des lieux qui accueillent d’autres types de croyants, ainsi que des athées et des agnostiques.
L’article 4 instaure un service civique obligatoire qui relève de l’application vivante du principe de laïcité. Ce principe fonde le « vivre ensemble » dans la République, dans le respect de nos différences, sans jamais que l’une ne dicte sa loi aux autres. Le service civique obligatoire de 6 mois, pour tous les jeunes garçons et toutes les jeunes filles, rétablira le nécessaire brassage social, la confrontation aux différences et l’apprentissage de la citoyenneté faite de droits et de devoirs. Ce service civique serait consacré à des missions d’intérêt général dans les domaines suivants : accompagnement scolaire, aide aux personnes âgées, actions humanitaires, actions en faveur de l’environnement. Il pourrait se dérouler au sein de l’éducation nationale, des hôpitaux, des maisons de retraite, des associations agréées à cette fin, de l’armée, de la police ou des services d’incendie et secours, en France ou dans les pays en voie de développement, afin que ces jeunes garçons et ces jeunes filles consacrent une période de leur vie à rendre des services d’utilité collective.
L’article 5 renforce les pouvoirs de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et les Exclusions (HALDE). L’application du principe de laïcité, respect des différences, est indissociable de la lutte contre les discriminations. Il est proposé que la HALDE statue de façon publique sur les faits portés à sa connaissance et puisse interroger toute personne physique et morale de droit privé, comme c’est le cas actuellement, mais aussi de droit public.
L’article 6 crée un Centre de la mémoire de l’immigration. En effet, l’immigration est au cœur de l’application du principe de laïcité. « Vivre ensemble avec nos différences » c’est aussi reconnaître officiellement que la France est riche de ses différences, et, donc, que la Nation française s’est également constituée par les apports de l’immigration tout au long de son histoire. La création de ce Centre y contribuera.
L’article 7 prévoit que dans les entreprises, après négociation entre les partenaires sociaux, les chefs d’entreprises puissent réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale à l’intérieur de l’entreprise.
L’article 8 permet de faire une place aux humanismes, athée et agnostique, comme option spirituelle à part entière. Les grandes religions bénéficient d’une retransmission télévisée régulière. Il paraît opportun de proposer à ces différentes opinions un créneau horaire équivalent, à l’instar de la pratique courante en Belgique.
L’article 9 permet de prendre en compte les exigences religieuses en matière funéraire. La laïcité ne peut servir d’alibi aux autorités municipales pour refuser que des tombes soient orientées dans les cimetières. Il est souhaitable que le ministère de l’intérieur invite au respect des convictions religieuses, notamment à l’occasion de l’expiration des concessions funéraires. En liaison avec les responsables religieux, la récupération des concessions doit se faire dans le respect des exigences confessionnelles, avec un aménagement des ossuaires adapté. Les collectivités pourraient se doter de comités d’éthique afin de permettre un dialogue avec les différentes communautés religieuses, et de régler les difficultés susceptibles de se poser.
II. – LA LAÏCITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS
Les articles 10 et 11 traitent de l’application du principe de laïcité à l’hôpital. En mars 2002, le législateur a attribué aux malades des droits fondamentaux pour une véritable démocratie sanitaire. Cette avancée législative doit être accompagnée de l’affirmation pour les malades du respect des principes de laïcité. À l’hôpital, personne ne doit refuser d’être pris en charge par tel ou tel membre du personnel soignant en invoquant notamment des raisons religieuses. Il est indispensable de définir les obligations des patients à l’égard des agents qui interviennent dans les établissements de soins. Le respect des obligations sanitaires, des règles indispensables au bon fonctionnement du service public, doit être complété par l’interdiction de récuser un agent.
L’article 12 traite de l’obligation de réserve des fonctionnaires. Depuis le début du XXe siècle, la jurisprudence constante du Conseil d’État impose aux agents publics la plus stricte neutralité. Elle n’a, jusqu’à présent, jamais fait l’objet d’une consécration législative. Il serait opportun de transcrire dans le statut général des trois fonctions publiques le respect de la neutralité du service auquel sont tenus les fonctionnaires et les agents non titulaires de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Le texte d’application de cet article devra prévoir en particulier dans quelles limites les fonctionnaires d’autorité peuvent porter leur tenue officielle dans les cérémonies religieuses. La loi de 1905 précise que « la République ne reconnaît ni ne privilégie aucun culte », c’est-à-dire, concrètement, que tous les cultes doivent être placés sur un plan d’égalité. Or, tel n’est pas le cas. Dans de nombreux domaines, les cultes et les humanismes athée et agnostique ne sont pas représentés de la même façon au sein des services publics. L’article 13 propose que soit généralisée, en particulier dans les hôpitaux et les prisons, la présence de lieux permettant la reconnaissance et l’exercice de l’ensemble des opinions philosophiques et religieuses.
L’article 14 met en œuvre la même disposition pour l’armée.
III. – LA LAÏCITÉ À L’ÉCOLE
Dans le système éducatif, nous proposons un certain nombre de mesures concrètes afin que la pédagogie de la Laïcité soit vécue au quotidien par les élèves. Pour cela, il faut commencer par mieux former les enseignants à la Laïcité. C’est ainsi que l’article 15 propose que dans les IUFM deux modules d’enseignement, l’un sur la philosophie de la laïcité et les valeurs de la République, l’autre sur l’enseignement du fait religieux et la déontologie laïque, soient proposés et généralisés pour l’ensemble des maîtres, en formation initiale et continue. Il faut ensuite initier les élèves. L’article 16 propose que ces enseignements soient intégrés dans les programmes obligatoires d’enseignement des premier et second degrés, en même temps que devront y figurer un enseignement des « Humanités », (connaissance des mythologies fondatrices du monde grec, latin et oriental, des humanismes de la Renaissance, du siècle classique, des Lumières, ...). L’initiation à de telles approches doit se garder en effet de tout privilège accordé à un type de croyance, comme de tout ethnocentrisme.
L’article 17 prévoit que tout établissement scolaire doit comporter sur son fronton la devise de la République, liberté, égalité, fraternité. Des élèves ne peuvent être systématiquement dispensés d’aller en cours pour des raisons religieuses. Les dispenses de cours pour éviter d’aller à la piscine ou au gymnase sont trop souvent indûment accordées. Pour mettre fin à ces certificats de complaisance,
l’article 18 prévoit que les dispenses médicales doivent être impérativement délivrées par la médecine scolaire ou, à défaut, par des médecins agréés par l’État. Le préambule de la Constitution de 1946 consacre le principe selon lequel « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et obligatoire à tous les degrés, est un devoir de l’État ». Or, force est de constater que cette obligation constitutionnelle n’est pas totalement respectée. En effet, dans certaines communes rurales, les familles sont contraintes de scolariser leurs enfants dans des établissements privés sous contrat d’association, du fait de l’absence d’école publique. Il faut donc rappeler clairement, qu’à terme, l’objectif général d’un État laïque authentique doit être de remédier à de telles carences en développant un réseau d’écoles publiques maillant tout le territoire national et permettant à toutes les familles qui le souhaitent d’y scolariser leurs enfants. Il importe, en l’occurrence, de considérer que l’école n’est pas un service public comme les autres et que l’instruction laïque, prévue par Condorcet pour fonder la citoyenneté éclairée, n’est pas une « prestation » comme une autre. Le caractère public et laïque de l’école de la République n’est pas une simple option facultative, mais une exigence à laquelle on ne saurait renoncer. Le rapport de la Commission Stasi pointait la carence de l’État en matière d’offre d’enseignement public dans de trop nombreuses communes, et appelait un effort pour y remédier. Dans l’attente d’un plan de résorption de ce déficit que les socialistes appellent de leur vœux – mais qui n’est qu’une question de moyens ne nécessitant pas de mesure législative particulière – il faut donc imposer aux établissements privés situés dans un territoire où il n’y a pas d’école publique, les obligations du service public de l’éducation (carte scolaire, accueil de tous les élèves, nomination des maîtres...).
L’article 19 définit cette obligation dans l’article L. 212-2 du code de l’éducation qui prévoit a priori la présence d’une école publique dans chaque commune.
L’article 20 inscrit dans le contrat d’association des écoles privées les obligations de service public qu’elles doivent respecter lorsqu’elles sont situées dans un territoire où il n’y a pas d’école publique.
Enfin, l’article 21 propose l’abrogation de l’article 89 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et de l’article 89 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école qui imposent aux communes de financer les écoles privées sous contrat d’association pour les enfants des familles résidantes de ces communes. Ces articles ont ouvert la voie à une remise en cause fondamentale des équilibres de financement entre les écoles publiques et les établissements privés d’enseignement.

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