lundi 5 juin 2006

Lundi de Pentecôte


Aujourd'hui, certains salariés pourront profiter d'une journée de repos mais d'autres sont contraints de travailler du fait de la journée de solidarité imposée par le Gouvernement et la majorité UMP. Cette mesure est aussi injuste qu'inefficace, comme mes collègues du Groupe Socialiste de l'Assemblée Nationale et moi-même l'avions dénoncé lors du vote de la Loi. Vous trouverez ci-après l'argumentaire que Paulette Guinchard-Kunstler avait développé en notre nom.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler.
"Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, monsieur le ministre délégué aux personnes âgées, mes chers collègues, j'aimerais tout d'abord revenir sur le débat qui a été lancé par le Premier ministre cet après-midi. Car nous sommes là au cœur de la question du financement de la prise en charge de la perte d'autonomie. Quand Jean-Marc Ayrault et beaucoup d'autres ont signé l'appel qui a été publié l'an dernier par un hebdomadaire, c'est bien de don qu'il s'agissait. Quand on parle de don, on parle d'un acte libre et individuel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), alors que vous, vous êtes en train - en vous appuyant, comme l'a très justement dit Gérard Bapt tout à l'heure, sur la culpabilité des Français face à la difficulté qu'ils semblent avoir à appréhender le dossier des personnes âgées - d'organiser une obligation du don. On est très loin, et cela, je vous demande de l'entendre, on est très loin de la grande idée de ceux qui ont créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l'ensemble du dispositif d'assurance collective, de la protection sociale. Quand Jean-Marc Ayrault et beaucoup d'autres ont signé cet appel, c'est à titre individuel qu'ils s'engageaient, ils ne parlaient pas de l'organisation politique d'un financement public de la prise en charge des personnes âgées. Il fallait que ce soit dit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) J'ajoute que cela, qui est au cœur du débat sur la prise en charge de la perte d'autonomie, sera aussi au cœur du débat sur l'assurance maladie. Allons-nous recourir en permanence à la culpabilisation des Français ou sommes-nous prêts, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, à faire en sorte, tous ensemble, qu'un vrai dispositif collectif soit mis en place. Je voudrais revenir sur un autre point. Au début de la séance, à l'occasion d'un rappel au règlement, j'ai demandé à ce que M. Borloo et M. Douste-Blazy soient présents dans cet hémicycle pour s'expliquer sur cette « grande réforme », comme vous dites. Ils ne sont pas venus. Et avec tout le respect que j'ai pour vous, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est là l'illustration du peu d'intérêt que porte ce gouvernement au dossier des personnes âgées et des personnes handicapées et à l'enjeu de son financement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ni M. Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, ni M. Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale, ne sont présents...alors que, c'est évident, les décisions qui seront prises à l'Assemblée nationale, à l'issue de nos débats, sont de nature à modifier en profondeur non seulement l'organisation et le financement de l'assurance-maladie mais encore le droit du travail. C'est dire si le gouvernement de M. Raffarin n'a opéré, selon moi, qu'un pur toilettage de façade et n'a pas, semble-t-il, compris le message sorti des urnes le 28 mars dernier. C'est dire encore le peu de cas que fait ce gouvernement du sort des personnes en situation de handicap et le peu d'intérêt qu'il porte à ce dossier, ce que je m'appliquerai à démontrer au cours de la motion défendant, au nom du groupe socialiste, l'exception d'irrecevabilité du projet de loi de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Après le grave échec du Gouvernement dans la gestion de la crise de la canicule survenue l'été dernier, qui a entraîné les conséquences dramatiques que l'on sait, vous avez, monsieur le ministre, monté en toute hâte un projet de loi destiné à garantir la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées : dispositif de veille et d'alerte au profit de ces personnes en cas de risque exceptionnel, journée de solidarité et caisse de solidarité. L'affichage politique semble parfait, mais le projet de loi s'inscrit en réalité, tant dans sa forme que dans son fond, dans la droite ligne de vos deux années de gouvernement : la régression sociale dissimulée derrière le masque de la modernité et une méthode qui ignore toute concertation et où l'incohérence le dispute au cynisme. Sur le plan de la méthode, je veux d'emblée dénoncer le moteur de la démarche qui préside au projet de loi dont nous devons débattre à partir de ce soir : la culpabilisation des Français. Toute l'attitude du Gouvernement depuis le terrible mois d'août 2003 est fondée sur le seul leitmotiv de la culpabilisation. Vous avez, dans un premier temps, reproché aux familles de ne pas s'occuper de leurs parents ; vous avez dénigré les services médicaux et les médecins généralistes et, plus grave, vous avez stigmatisé les salariés à travers le mode de financement que vous avez choisi en leur reprochant de ne pas travailler suffisamment : à cause d'eux, la France manquerait d'argent pour subvenir aux besoins des personnes âgées et des personnes handicapées. Ce faisant, vous cachez la réalité : c'est votre gouvernement qui a diminué les crédits destinés aux personnes âgées en général et aux maisons de retraite en particulier. Il est inacceptable de dénoncer, comme vous l'avez fait après la canicule de l'été dernier, la prétendue carence des familles. Tout au contraire - et j'ai, à ce sujet, madame la secrétaire d'Etat, écouté avec un grand intérêt votre approche très différente concernant les familles - je souhaite défendre ici l'immense effort des familles dans l'accompagnement humain et financier de leur parent âgé et fragile, comme de leur conjoint, enfant, frère ou sœur handicapé. Quiconque a, dans sa famille, une personne touchée par le handicap sait le temps passé par les proches auprès d'elles, le soutien moral qu'il doit prodiguer et l'énergie qu'il faut déployer, parfois même au détriment de sa propre vie et de sa propre santé. Et s'il est des cas de délaissement, les généraliser relève du sophisme. Certes, les solidarités envers les personnes âgées et l'accompagnement de celles-ci ont changé : les nouvelles solidarités ont pris des formes très différentes. Ce n'est plus sous le même toit que sont acceptés les parents, mais des enfants installent leur parent dans la même commune, le même quartier, voire le même immeuble qu'eux ; d'autres divisent leurs congés annuels pour être auprès de leur vieux père atteint d'une maladie dégénérative, ou s'organisent pour être présents aux côtés de leur vieille mère. Les études de la CNAV sur les années 1990 montrent que 50 % des personnes âgées en perte d'autonomie étaient prises en charge par leur famille seule et 30 % conjointement par leur famille et des professionnels : seulement 20 % d'entre elles n'étaient prises en charge que par des professionnels. La présidente de la MSA indiquait il y a peu que, dans le monde agricole et rural, 40 % des personnes de plus de soixante ans aident une personne âgée dépendante de leur entourage. Alors, monsieur le ministre, regardez la situation réelle de « la France d'en bas », comme vous aimez à la qualifier ! Et arrêtez de culpabiliser les familles ! Il en est de même des médecins généralistes, que vous avez accusés de ne pas prendre en charge la permanence des soins alors que les analyses de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ont montré que les appels aux médecins généralistes n'ont pas été plus importants durant le mois d'août 2003 que durant les mois d'août des années antérieures. Quant à la culpabilisation des salariés, j'y reviendrai à la fin de mon propos. Pourtant, un drame comme la canicule devrait plutôt alimenter notre mémoire collective, pour paraphraser les propos du professeur San Marco devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ! C'est bien une défaillance collective - je l'affirme ici - qui a eu lieu. Votre texte est à ce point imprécis et critiquable que je ne suis pas certaine, monsieur le ministre, que vous en ayez tiré toutes les leçons. Sur le plan de la méthode, il convient encore de relever que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui a été bâti en toute hâte alors même qu'un autre projet de loi, visant à garantir l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, était adopté en conseil des ministres, et discuté au Sénat en première lecture fin février. Quelle est donc la cohérence politique de votre action législative que vous qualifiez de « réformatrice » ? Il est vrai qu'entre les promesses faites par le Président de la République envers les personnes handicapées et les contraintes budgétaires consécutives à votre politique de réduction des recettes fiscales, vous êtes bien embarrassés ! Le désordre de votre méthode atteint son comble lorsqu'aux deux projets de loi déjà évoqués s'ajoute le projet de réforme de l'assurance-maladie dont, sous la pression électorale, vous avez finalement décidé de nous saisir en renonçant à intervenir par ordonnances... Mais, là encore, où est la cohérence puisque nulle part le projet de loi dont nous débattons n'explique ce que sera le positionnement de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie par rapport à l'assurance-maladie ? L'exposé des motifs est clair sur le sujet : « La mission confiée par le Gouvernement à MM. Briet et Jamet permettra de donner un contour définitif à la caisse nationale dans le cadre d'un autre projet de loi, qui permettra aussi de tirer les conclusions, quant au rôle de la caisse, des dispositions du futur texte réformant la loi du 30 juin 1975 sur les personnes handicapées ». Vous demandez donc à la représentation nationale de voter sur un dispositif dont elle ignore s'il est conçu ou non pour durer, et qui ne précise pas ce qu'il prendra en charge ! Le pré-rapport de MM. Briet et Jamet, rendu le 20 avril, n'est qu'un « document d'étape soumis à la concertation ». Vous voulez donc nous faire voter alors que les consultations sur la CNSA ne sont pas terminées,...que les travaux de la mission d'information sur la problématique de l'assurance maladie de notre assemblée ne sont pas non plus achevés et que les propositions du ministre de la santé sont, à mes yeux, encore très vagues et très lâches. Vous nous demandez, finalement, de ne pas nous saisir de l'intégralité de notre compétence de législateur ! La situation actuelle devrait pourtant vous conduire à reporter l'examen du texte et à attendre la publication du rapport définitif de MM. Briet et Jamet, prévue, si je ne me trompe, pour le courant du mois de juin. Pourquoi donc en effet ne pas discuter en premier lieu de l'assurance-maladie et y intégrer les propositions d'un financement de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ?... c'est ce que demande expressément votre propre majorité si j'en crois la presse qui a cité Nadine Morano, Françoise de Panafieu, Pierre Méhaignerie, Pascal Clément ou Hervé Mariton. Ces députés de l'UMP ont qualifié votre politique d'illisible. Les intéressés, les professionnels du monde sanitaire et social et les parlementaires sont les témoins de votre politique de cabotage. Votre manière de traiter la représentation nationale est particulièrement manifeste, monsieur le ministre, lorsque vous négociez en catimini avec quelques députés UMP pour nous dire que la journée de solidarité doit seulement signifier sept heures de solidarité, alors même qu' aucune négociation avec les partenaires sociaux n'a eu lieu ! Et vous n'avez pas peur de déclarer, selon l'AFP, que cet accord est un « exemple de ce que doit être une démocratie participative ». (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.) Je le qualifierai plutôt, quant à moi, de négociation de couloir. Nous ne devons pas avoir la même définition de la démocratie participative ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Redessiner une sécurité sociale adaptée au XXIe siècle et financée de manière juste et pérenne, qui intègre le nouveau défi de la société que représentent non pas le vieillissement de la population, mais les risques de dépendance et de perte d'autonomie que peuvent rencontrer les personnes âgées en vieillissant, et qui n'oublie pas non plus les personnes handicapées, ...redessiner, donc, la sécurité sociale, mais également reconnaître et mettre en place un véritable droit à compensation - que vous appelez de vos vœux, madame la secrétaire d'Etat - en associant la société civile et la représentation nationale, voilà quel devrait être l'objectif de notre société ! Votre surdité - j'y reviendrai - s'étend également aux partenaires sociaux : aucun d'entre eux n'a été consulté, alors que tous ont émis un avis défavorable au projet de loi. Vous proposez ainsi un texte qui n'a l'accord de personne ! Les associations de personnes handicapées ont vu dans le financement de la politique des personnes âgées et handicapées par la suppression d'un jour férié une « mesure stigmatisante pour les personnes concernées ». Elles dénoncent également un financement qui n'est pas universel puisqu'il n'est pas assis sur tous les revenus. Le conseil national des retraités et des personnes âgées a, lui aussi, rejeté le projet de caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, demandant le rattachement de la gestion de l'allocation personnalisée d'autonomie à la sécurité sociale et l'abolition de toutes les discriminations par l'âge. Les quatre caisses de sécurité sociale - la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs sociaux, la Mutualité sociale agricole, l'ACOSS et la Caisse nationale d'assurance vieillesse - ont, quant à elles, estimé que cette caisse portait en germe « une rupture du pacte de solidarité » et ouvrait la voie à « une partition inacceptable des soins ». Les conseils d'administration de l'ACOSS et de la Caisse nationale d'assurance-maladie constatent « avec regret que le Gouvernement crée, sans concertation préalable, une caisse nationale ... au moment même où un débat s'est engagé sur l'avenir de l'assurance-maladie. En privilégiant les effets d'annonce à court terme, le Gouvernement tourne le dos à l'amélioration effective et pérenne des conditions de vie » des personnes âgées en perte d'autonomie. L'intégralité des syndicats de salariés - CFTC, CFDT, CGC, FO, CGT - ont rejeté l'idée d'un travail gratuit. La CFDT a encore affirmé hier son opposition catégorique au mode de financement que vous retenez dans ce texte : elle le juge injuste car reposant sur les seuls salariés. Les entreprises elles-mêmes sont particulièrement réticentes : j'étais hier à leur rencontre dans ma circonscription et c'est bien la crainte d'un coût financier pénalisant entreprises et salariés qui ressort des discussions que j'ai eues. C'est aussi le cas de l'Union professionnelle artisanale, qui regrette que la principale action du Gouvernement consiste à faire peser l'essentiel du poids de l'aide aux personnes dépendantes sur les entreprises de main-d'œuvre. Pour couronner le tout, un sondage publié aujourd'hui montre que 60 % des Français n'approuvent pas le jour férié travaillé et non payé. Et, parmi les 40 % qui y sont favorables, on ne s'étonnera pas de trouver surtout les artisans, les professions libérales et les retraités, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui sont exclus du champ d'application de cette disposition. Dans ces conditions, quelle est la légitimité du texte que vous nous proposez ? Chantre autoproclamé du dialogue social, votre gouvernement devient le spécialiste du passage en force. En ne saisissant pas le Conseil économique et social du présent projet de loi, vous méconnaissez le caractère social de la République posé par l'article 1er de la Constitution. Car, même si l'absence de saisine n'est pas directement inconstitutionnelle, elle n'en viole pas moins une obligation politique du Gouvernement, puisque le CES est le lieu du débat socioprofessionnel, où des points de vue au départ divergents progressent vers la recherche de l'intérêt général. A défaut de le saisir, donc, vous auriez pu au moins vous faire l'écho de ses propositions, formulées dans un avis intitulé « Pour une prise en charge collective, quel que soit leur âge, des personnes en situation de handicap » : les questions fondamentales qui nous intéressent aujourd'hui y sont traitées. Mais votre défaut de méthode vous a conduit à les ignorer, le projet de loi ayant été déposé avant la parution de ce rapport. Le ministre des affaires sociales de l'époque avait pourtant laissé entendre, lors de son audition du 3 mars dernier devant la commission des affaires sociales, que le Gouvernement tiendrait compte de l'avis du Conseil économique et social. Il déclarait en substance que les nouvelles pistes de réflexion ouvertes par le rapport de la mission d'information sur la canicule et l'avis du CES permettraient, le cas échéant, d'aller au-delà du projet qui nous est proposé aujourd'hui. Nous verrons bien, au cours de ce débat et à l'occasion de l'examen des amendements déposés par le groupe socialiste, si votre gouvernement entend s'inscrire dans la ligne des propos de M. Fillon ou si, là encore, il préfère un passage en force. Allez-vous accepter de débattre du fond, monsieur le ministre et madame la secrétaire d'Etat, c'est-à-dire de la définition d'un droit à compensation et des modalités de sa gestion et de son financement, fondé sur une vraie solidarité et sur l'égalité ? Car c'est bien là le cœur de notre sujet. Votre empressement à présenter ce projet de loi n'était probablement motivé que par vos craintes de subir une deuxième canicule, ce que nous pouvons comprendre. Le texte prévoit ainsi l'adoption d'un plan de vigilance et d'alerte pour faire face à ce type d'événement. Ma collègue Danièle Hoffman-Rispal reviendra sur ce point, mais j'aimerais, à titre personnel, formuler quelques remarques. Tout d'abord, je ne suis pas sûre que ces mesures soient réellement de la compétence du législateur. C'est plutôt au pouvoir réglementaire qu'il appartient de mettre en place un dispositif d'alerte. Le titre Ier de ce projet n'avait donc pas forcément de raison d'être. En outre, comme beaucoup de mes collègues, j'ai été très frappée par les propos du professeur San Marco lors de son audition par la commission d'enquête sur la canicule. Celui-ci, fort de son expérience de quinze ou vingt ans à Marseille, nous a bien expliqué qu'il était essentiel que le drame d'août 2003 reste ancré dans la mémoire de l'ensemble des Français, afin qu'il ne se renouvelle pas. Ainsi, pour ce qui concerne la petite enfance, les Français connaissaient tous très bien les risques de déshydratation et d'hyperthermie que les grandes chaleurs font courir au nourrisson. Pour ce qui concerne les personnes âgées, ces risques n'étaient pas connus. A ses yeux, donc, le véritable enjeu est que chacun d'entre nous intègre cette notion de risque pour les personnes âgées. Il est à cet égard essentiel que tous les Français apprennent les gestes élémentaires pour préserver les personnes âgées de l'hyperthermie. La mise en place de salles rafraîchies dans les maisons de retraite est certes intéressante, mais une grande campagne nationale, relayée au niveau local par les départements et les communes, serait utile pour faire progresser cette « mémoire collective » dont parle le professeur San Marco. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) La diffusion des connaissances sur ce qui a été réalisé serait d'un grand intérêt au niveau national. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que soit lancée très rapidement une grande campagne nationale et locale sur les risques liés à l'hyperthermie. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) A aucun moment je n'ai dit que vous vous étiez trompé, monsieur le ministre. Autre aspect souvent évoqué dans le cadre de la commission d'enquête : la nécessité d'une politique gérontologique. Sur ce sujet, monsieur le ministre, je suis largement d'accord avec vous. A l'échelle locale, la Mutualité sociale agricole a montré que lorsqu'une telle politique existe, le nombre des décès pendant une canicule reste très faible. L'APA a également joué un rôle positif, comme l'a établi la commission d'enquête : grâce au suivi assuré par les visites régulières des aides à domicile, il y a eu moins de décès chez ses bénéficiaires. En ce qui concerne l'installation de la climatisation dans les maisons de retraite, dont vous chiffrez vous-même le coût, monsieur le ministre, à 15 000 euros, aucun crédit n'est prévu. Dès lors, soit les maisons de retraite investissent elles-mêmes - comme vous le leur demandez - et ne réalisent pas d'autres travaux nécessaires, soit elles se retournent vers les personnes âgées en répercutant ces dépenses dans le prix de journée, soit les conseils généraux paient. Nous avons la responsabilité de trouver un dispositif pour permettre à chacune de mettre en place une salle rafraîchie : plusieurs de nos amendements vont en ce sens L'incohérence gouvernementale culmine dans votre façon d'aborder le sujet de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Vous saupoudrez les mesures au gré des textes : une pointe dans le projet de loi sur les responsabilités locales, un zeste dans le projet de loi relatif à la solidarité et à l'autonomie, un brin dans le projet de loi relatif à la santé publique, une dose non négligeable dans le projet de loi relatif à l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées et des personnes âgées, enfin une part dans le futur projet de loi sur l'assurance maladie, sans qu'existe de lien entre ces textes. Votre approche paraît verticale et formelle au lieu d'être horizontale et matérielle, comme l'exige la prise en charge des personnes en perte d'autonomie. Elle témoigne, me semble-t-il, d'une connaissance imparfaite du sujet de la vieillesse et des besoins des personnes âgées et handicapées. Le défaut de méthode du Gouvernement s'en trouve aggravé, alors qu'il aurait été possible de s'appuyer sur une réflexion saine et généreuse, comme celle du Conseil économique et social et de son rapporteur Maurice Bonnet. Enfin, le texte tel qu'il résulte du travail de la commission des affaires sociales trahit une surdité certaine aux propositions des parlementaires puisque, par exemple, vous et votre majorité avez ignoré, d'abord dans le cadre de la commission d'enquête sur la canicule puis dans celui du projet de loi relatif à la santé publique, la proposition du groupe socialiste qui tendait à créer un Institut national de recherche pluridisciplinaire sur le vieillissement. Pourtant, après le drame de l'été 2003, la commission d'enquête parlementaire a révélé de nombreuses lacunes et a montré combien il est important de bien connaître les effets du vieillissement sur les conditions de vie et sur les risques sanitaires, ainsi que les adaptations particulières à mettre en place pour les personnes âgées. Alors que votre gouvernement fait preuve d'une absence cruelle de vision d'ensemble sur la vieillesse, il n'essaie même pas d'y remédier en créant un institut de recherche ! Vous avez choisi de ne pas inscrire les crédits nécessaires aux maisons de retraite et à l'APA dans le budget de l'ONDAM médico-social, lors de la préparation du budget 2003, et il aura fallu les 15 000 décès dus à la canicule de l'été 2003 pour vous amener à comprendre combien cela était important ! Les hésitations du Premier ministre à l'automne 2003 et celles que l'on peut constater encore aujourd'hui montrent bien, s'il en était besoin, que le Gouvernement n'a pas véritablement fixé d'objectif pour une politique des personnes âgées. Avec le plan d'alerte proposé et les autres mesures annoncées, telles que le plan vieillissement et solidarités, nous sommes bien loin du « plan Marshall » réclamé par l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées. Beaucoup de professionnels du secteur sanitaire et social ont d'ailleurs dénoncé les insuffisances des nouveaux financements apportés par le plan. Avec votre gouvernement, le secteur des personnes âgées, que vous le vouliez ou non, reste le parent pauvre de la société ! De plus, ce texte est, dans sa philosophie, conforme à la tentative de remise en cause de l'allocation personnalisée d'autonomie que vous avez menée dès 2002 : diminution du niveau de revenu au-delà duquel une participation personnelle est exigée en déduction de l'allocation, recul de deux mois de la date d'ouverture des droits... Vous devez aussi savoir, mes chers collègues, que le précédent gouvernement de M. Raffarin avait gelé et supprimé 300 millions d'euros de crédits destinés aux maisons de retraite en 2002 et 2003. Votre méthode, monsieur le ministre, est dans la droite ligne des mensonges réitérés publiquement sur le soi-disant échec de la mise en place de l'APA par le gouvernement Jospin. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous avions estimé le montant de l' APA à 2,5 milliards d'euros pour 2002-2003 et à 3,5 milliards pour 2004. Les sommes dépensées en 2002 ont été de 1,850 milliard d'euros et de 3,2 milliards d'euros en 2003. Le nombre d'allocataires était estimé à 800 000 ; il est aujourd'hui, exactement, de 780 000 personnes. Mais c'est vous qui avez fait le choix de ne pas augmenter la part de la CSG affectée à l'APA : fin 2002, 0,05 % de CSG suffisait, soit 400 millions d'euros, le montant exact de l'emprunt que vous avez été obligés de faire en 2003. Vous avez donc bien privilégié une approche politicienne. La grave crise financière évoquée dans l'exposé des motifs, c'est vous qui l'avez organisée en laissant filer les dépenses d'assurance maladie, en n'assumant pas d'emblée la perspective de l'augmentation du coût de la prise en charge des personnes âgées. L'APA est une mesure positive dont le gouvernement socialiste peut être fier et dont même les députés de l'opposition soulignaient l'avancée lorsqu'elle a été mise en place en 2001. La mise en œuvre de l'APA a, par exemple, permis la création de 70 000 emplois ; or très peu de gens le disent. J'ai d'ailleurs vérifié, à l'occasion du conseil de surveillance du FAPA, qu'il ne s'agit que d'un chiffre minimum ; et ce sont les responsables qui me l'ont affirmé. Quel département aurait pu accueillir une entreprise de cette taille ? Mais en plus d'un déficit de méthode, le projet de loi de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et handicapées souffre de vrais dangers et d'insuffisances qui résultent principalement de ses deux autres titres. Ces dangers et insuffisances sont de plusieurs ordres : un danger pour le monde du travail ; un danger pour la sécurité sociale ; une insuffisance dans la définition du droit à compensation. Quitte à faire un projet de loi spécifique pour l'autonomie, autant qu'il soit ambitieux. Car nous sommes à un tournant de la prise en charge du handicap, de l'invalidité, de la perte d'autonomie et de la dépendance. C'est pourquoi il aurait fallu réaffirmer dans ce texte le droit à compensation pour les personnes handicapées, droit qui avait été posé - comme vous l'avez d'ailleurs affirmé, madame la secrétaire d'Etat - par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui affirmait solennellement : « Tout individu a droit à la compensation intégrale des conséquences de son handicap, de son invalidité, ou de sa dépendance, quelles qu'en soient l'origine et la nature, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante. » La mise en œuvre d'un véritable droit à compensation, considéré comme droit subjectif et droit-créance, serait le signal que la société française prend l'engagement, en ce début de XXIe siècle, de renouveler sa conception de la solidarité. Elle ferait ainsi écho aux bâtisseurs qu'ont été les membres du Conseil national de la Résistance lorsqu'ils ont promu, par-delà les clivages partisans, la sécurité sociale. La seule modernité qui vaille, c'est la modernité sociale au service de l'être humain ! Cette idée, il nous faut la retrouver en ce début de XXIe siècle pour garantir le « désir d'autonomie, d'intégration et de citoyenneté » des personnes en situation de dépendance. Nous, socialistes, considérons qu'une société comme la France doit se donner les moyens financiers d'une politique sociale ambitieuse. C'est pourquoi nous jugeons utiles la proclamation d'un droit à compensation et l'offre de prestations humaines et matérielles au profit de toutes les personnes en situation de perte d'autonomie, sans aucune barrière d'âge. Il faut donner corps à une économie à finalité humaine, et non à une société dans laquelle l'individualisme et l'égoïsme le disputent à l'assistance et à la charité. Si vous aviez consulté les partenaires sociaux, vous auriez relevé que tous réclament de sortir des schémas catégoriels, de supprimer les barrières d'âges entre les bénéficiaires des politiques sectorielles, qu'ils soient dits « handicapés » ou « dépendants ». Il faut rappeler que le droit à compensation figurait implicitement dans la loi de 1975 relative aux personnes handicapées : l'allocation compensatrice tierce personne était une prestation bénéficiant à toute personne handicapée, quel que soit son âge. C'est votre majorité qui, en janvier 1997, a introduit, avec la création de la prestation spécifique dépendance, la barrière d'âge de soixante ans. Il en résulta un recul considérable des moyens alloués aux personnes âgées, de l'ordre de 1,5 milliard de francs, soit 230 millions d'euros. Comme le dit si bien Jeannette Gros, présidente de la MSA, « quelle est la pertinence d'un critère d'âge fixé à soixante ans pour décider qu'une personne, avant cet âge, relève des mesures liées au handicap et, après, des mesures liées à la perte d'autonomie ? Ce critère ne correspond à aucune réalité, que l'on se place sous l'angle de vue de nos aînés, pour lesquels les questions de perte d'autonomie surviennent en règle générale plus tardivement, aux environs de quatre vingts ans, ou bien sous l'angle des personnes handicapées, où la question de la mise à la retraite peut survenir au contraire de façon anticipée, du fait d'une plus grande usure de leur capacité de travail ». S'il vous arrive un accident vasculaire cérébral à cinquante ans et que vous vous retrouvez handicapé, vous êtes alors classé parmi les handicapés adultes. S'il vous arrive ce même accident à soixante-cinq, soixante-dix ou quatre-vingts ans, vous êtes classé parmi les personnes âgées dépendantes. Pourtant, le handicap et les difficultés sont du même ordre, et les besoins de prise en charge aussi. La PSD a donc introduit un véritable recul dans l'approche du droit français à compensation. Mais ce recul découlant de la mise en place de la PSD et la non-application, par certains départements, du droit à l'allocation compensatrice tierce personne aux personnes âgées, nous ont obligés à reconstruire un autre dispositif pour les personnes âgées dépendantes. L'allocation personnalisée d'autonomie a grandement réduit la différence entre personne handicapée adulte et personne âgée dépendante. Elle nous permet maintenant d'aller de l'avant, tous ensemble, et de mettre en place un droit à compensation identique pour toutes les personnes souffrant de handicap, d'invalidité ou de dépendance, sans critère d'âge ou de handicap. Comme l'affirme le Conseil économique et social dans son avis du 25 février 2004, il convient d'organiser « une prise en charge et un accompagnement par la collectivité tendant à l'universalité, en assurant la compensation des incapacités de chacun grâce à un système basé sur la solidarité nationale... » Le droit à compensation doit donc être un droit universel et ses règles de mise en œuvre définies au niveau national. Il doit reposer, comme le propose la Mutualité française, sur une évaluation des besoins individualisée, réalisée par une équipe pluridisciplinaire sur le lieu de vie et fondée sur des outils communs de types référentiels. Mais Mme Hoffman-Rispal reviendra sur ce point. La précipitation dans laquelle vous avez agi et l'absence de concertation préalable ont eu comme conséquence que l'on ne connaît pas la nature véritable de la Caisse nationale prévue par le projet de loi. C'est d'ailleurs ce qui ressort des remarques de notre rapporteur Denis Jacquat. Faut-il n'y voir qu'un fonds de financement ? Faut-il considérer qu'il s'agit d'une nouvelle caisse de sécurité sociale chargée de gérer un nouveau risque ? Quel est donc son lien avec l'assurance maladie ? N'est-elle destinée qu'à verser des aides financières aux départements ? Rien n'est dit non plus sur les modalités de gestion de cette caisse : vous vantez le dialogue social, mais les syndicats, a priori, n'y sont pas représentés ! Et puis, concrètement, que finance-t-elle ? Le texte ne nous le dit pas. Le rapport Briet-Jamet nous fait entrevoir les dangers de ce projet de loi. Je me doute que vous aurez tendance à ne pas écouter le groupe socialiste, mais vous allez très rapidement entendre les mêmes propos de la part l'ensemble des responsables du champ du handicap et des personnes âgées, voire, ultérieurement, dans vos circonscriptions. Ce rapport préconise une décentralisation très poussée, qui consisterait à transférer aux conseils généraux « un ensemble significatif de responsabilités afin de faire émerger un gestionnaire local de proximité doté des moyens nécessaires » qui définirait les besoins des personnes. Il suggère par ailleurs d'« accompagner cette organisation des responsabilités au plan local de la mise en place au niveau national d'une institution forte, c'est-à-dire dotée de la légitimité et des moyens nécessaires pour satisfaire à l'exigence d'un traitement équitable sur l'ensemble du territoire ». Il existe donc un véritable hiatus entre le projet de loi déposé et le contenu de ce rapport qui va beaucoup plus loin que celui-ci. Or le Parlement ne peut statuer sans connaître les véritables motivations et objectifs du Gouvernement. De deux choses l'une : ou vous avez décidé d'ignorer le rapport Briet-Jamet parce que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie n'apporte aucune garantie dans l'égalité de traitement des personnes concernées et parce que vous n'avez pas pris la peine de définir précisément le droit à compensation - pas plus d'ailleurs que l'étendue des besoins à satisfaire, la nature et le niveau des prestations à servir ; ou vous vous inscrivez dans la logique de ce rapport, et il faut alors ajourner le débat sur ce projet de loi car il est manifestement inadapté à la perspective retenue dans le rapport. Il n'est plus ici question de méthode mais de fond : vous avez fait le choix de la décentralisation du handicap et de la dépendance dans le cadre de la loi sur les responsabilités locales, choix qui n'a pourtant été débattu par personne, qui n'a donné lieu à aucune concertation, même pas avec les conseils généraux, et dont la portée n'a d'ailleurs pas été suffisamment analysée, sur le plan financier, humain ou technique. En l'état des choses, l'égalité des droits ne serait pas assurée entre personnes âgées car les barrières d'âge ne seraient pas supprimées ; car rien n'est précisé au sujet de la ventilation des crédits de la caisse ; car confier les compétences de tarification, de financement et de tutelle sur les établissements et services du champ médico-social aux départements est contraire à l'indépendance des fonctions de décision, d'évaluation et de financement du plan personnalisé de compensation. Par ailleurs, la décentralisation de la politique du handicap et des personnes âgées entraînera un nouveau transfert de charges financières sur les collectivités locales, et en particulier sur le département. Le rapport Briet-Jamet ne dit pas autre chose puisque, selon lui, la caisse ne devra que participer au financement des prestations versées par les départements ; il y est expressément écrit que celle-ci « ne saurait avoir pour mission d'assumer financièrement la charge des politiques menées ». Monsieur le ministre, dites à la représentation nationale quelles modalités de financement vous entendez garantir, dans la continuité, aux départements ! Le risque est d'autant plus grave que, sur le plan des prestations financées, le rapport Briet-Jamet distingue les prestations de soins de droit commun des prestations de soins spécifiques, et prévoit que ces dernières pourraient être financées par la caisse. Ce que tout le monde craignait, vous le mettez en place : la casse de l'assurance maladie par l'atomisation des prestations de soins qu'elle finance, la mise en place d'une assurance maladie spécifique aux personnes âgées et handicapées. Le rapport le dit très clairement : la médicalisation et les forfaits soins des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les services de soins à domicile entreront dans le champ d'intervention de la caisse. La commission des affaires sociales vient d'ailleurs de refuser un amendement que je proposais, qui visait à préciser que ne sauraient être imputées sur la caisse les dépenses d'assurance maladie... J'ai bien entendu, lors du Conseil de surveillance du FAPA, qu'une partie du financement de cette caisse pourrait aller aux dépenses de santé. Si l'on se rapporte aux déclarations successives de l'ensemble des responsables, on se rend compte que, concrètement, la caisse va financer une partie des crédits nécessaires aux soins des personnes âgées et des personnes handicapées qui vivent dans les maisons de retraite et les structures d'hébergement. L'inquiétude est d'autant plus grande que le rapport préfère au substantif « caisse » celui d'« agence », précisant que le mot « caisse » est fréquemment associé à des dispositifs procédant de l'organisation des régimes de sécurité sociale : il y a donc bien là une volonté de démanteler la sécurité sociale ! Le texte reste très flou sur les « actions en faveur de l'autonomie » que le produit de la « journée de solidarité » doit financer : allez-vous financer également les prestations aujourd'hui prises en charge par l'assurance maladie ? La lecture du pré-rapport Briet et Jamet est éclairante sur ce point et ne laisse pas d'inquiéter : le risque d'inégalité des citoyens devant la loi est patent. Ainsi, en matière de services de soins infirmiers à domicile, puisque les services concourant au maintien à domicile entreraient dans le champ de la caisse, les frais occasionnés par les soins prodigués par une infirmière libérale seraient pris en charge par la sécurité sociale, alors que ceux d'une infirmière ou d'une aide-soignante intervenant dans un service de soins à domicile seraient pris en charge par cette caisse. Cette inégalité de la prise en charge financière des soins des personnes âgées et handicapées est profondément choquante et contraire au principe constitutionnel d'égalité. Elle rend encore plus criant le défaut de définition du droit à compensation, qui ne doit pas englober les prestations de soins. C'est un débat essentiel, auquel l'Allemagne n'a pas échappé au moment où elle a mis en place la reconnaissance et l'assurance d'un droit à compensation. Car le droit de tout homme à l'autonomie dans sa vie personnelle implique l'existence d'un droit à compensation. Pour nous, l'égalité des droits implique l'unité du financement des soins, d'un côté, des prestations techniques et humaines, de l'autre. Une allocation personnalisée d'autonomie pour les personnes âgées et les personnes handicapées doit consister en un véritable droit à compensation. Nous n'avions, d'ailleurs, pas exclu d'atteindre, à terme, l'objectif d'un dispositif unique, de type « cinquième risque ». M. Jacquat lui-même avait manifesté sa volonté d'aller vers cette solution. Quand on l'aura fait, on pourra reprocher à l'APA de ne pas aller assez loin, même si 750 000 personnes en bénéficient contre 130 000 pour la PSD. Aujourd'hui, alors que l'allocation personnalisée d'autonomie et l'allocation compensatrice pour les personnes handicapées ont atteint le même niveau, il me semble essentiel de passer à une autre réflexion et sûrement à un autre système, en créant un fonds national adossé à l'assurance maladie, qui financerait un droit à compensation quel que soit l'âge du bénéficiaire. Notre conception est claire : il faut organiser le financement d'un droit universel à la compensation personnalisée du handicap, quels que soient son origine et l'âge des bénéficiaires, en laissant le financement des soins à la branche qui en a la charge pour tous les assurés sociaux, celle de l'assurance maladie. Votre conception est circonstancielle, puisqu'elle laisse de côté les personnes handicapées les moins âgées. Notre proposition fait écho à celle du Conseil économique et social, qui demande la mise en place d'une prestation handicap-invalidité-dépendance, prestation universelle, versée sur tout le territoire national et destinée à financer la prise en charge de la perte d'autonomie de toute personne. L'ordre logique est préservé : un fonds pour financer une prestation, un droit à l'autonomie ou droit à compensation de la perte d'autonomie, qui couvrirait les prestations d'assistance technique et humaine. Ce fonds pourrait être autonome et paritaire, ou un organisme d'Etat où les partenaires sociaux auraient voix délibérative. Pour financer le droit à l'autonomie, le recours à la solidarité nationale va de soi, mais de façon réellement juste, en prenant véritablement en compte tous les revenus. C'est ainsi que j'en viens à un autre point particulièrement grave du texte : la suppression d'un jour férié et l'institution d'une « journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés », selon la formule retenue. Cette mesure est, me semble-t-il, une erreur politique, contestable sur le plan économique, désastreuse sur le plan juridique. Sur le plan politique, elle s'inscrit dans une logique de culpabilisation des Français et principalement des salariés. Elle a des allures de brimade que les Français auraient méritée pour n'avoir pas rempli leurs obligations envers les personnes handicapées et âgées. Elle s'apparente aussi plus à la charité qu'à une politique ambitieuse visant à garantir l'égalité des droits par le biais d'un outil redistributif et juste. En ne proclamant pas le droit à compensation, vous restez dans le champ de la charité quand il faudrait garantir à tous la meilleure vie personnelle possible en compensant les difficultés engendrées par la perte d'autonomie. C'est encore une mesure idéologique, qui s'inscrit dans la remise en cause de la réduction du temps de travail et des 35 heures, dans la logique du RMA, dans votre obsession de « remettre les Français au travail ». C'est, d'ailleurs, la première fois qu'est interrompu un mouvement historique concernant le temps de travail. Votre attitude est, en la matière, mesquine et bien peu courageuse : mesquine, parce que vous n'osez pas remettre en cause expressément la durée du temps de travail ; peu courageuse, car vous laissez maintenant aux branches professionnelles le soin de fixer ledit jour. Sur le plan économique, la mesure est contestable, car elle risque fort de freiner la croissance en entraînant une baisse de la consommation : maintenu au lundi de Pentecôte, le jour férié travaillé compromettra nombre de fêtes régionales ; fixé à d'autres périodes, il affectera les recettes de week-end de l'industrie touristique. J'ai cru comprendre que cela avait été un argument très fort dans les rangs de l'UMP. En effet, la formule des courts séjours ayant connu un essor considérable grâce à la réduction du temps de travail, remettre en cause cette dernière risquerait de freiner le développement du tourisme. Cette mesure est d'autant plus rétrograde que, dans le même temps, le ministre des finances a annoncé qu'il entendait assouplir l'interdiction du travail le dimanche. « Pour relancer la consommation », dit-il ! On voit bien que l'objectif poursuivi n'est autre que d'ajouter la flexibilité à la précarité. Quelle belle perspective de société vous ouvrez aux familles et aux jeunes, en cassant ainsi une règle sociale aussi structurante que le dimanche chômé, qui permet aux familles de se retrouver ! C'est le droit à une vie familiale normale que vous bafouez ! Mais je devrais plutôt dire cela au ministre de l'économie et des finances. Pour en revenir au jour férié travaillé non payé, les contributions prévues à l'article 8 du projet de loi et affectées à la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont elles-mêmes injustes. Assise sur les salaires, la contribution de 0,3 % n'incite pas les entreprises à embaucher. Pour les salariés, il s'agit d'une forme nouvelle de relation de travail subordonné, car le produit du jour de solidarité non payé en heures supplémentaires n'équivaut pas, selon les économistes, aux 0,30 % qu'elles devront verser. Enfin, et surtout, il faut rappeler que la baisse d'impôt sur le revenu pour les ménages les plus riches a coûté 1,8 milliard d'euros, soit environ ce que rapportera le jour férié travaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) En dépit de la volonté de solidarité affichée, vous vous livrez, avec le jour férié travaillé non payé, à une entreprise de mystification au profit du lobby libéral. Sur le plan du droit du travail, le « jour férié travaillé non payé » est d'une gravité réelle, une véritable contre-réforme. Vous ouvrez la boîte de pandore en offrant aux employeurs la possibilité de faire travailler davantage les salariés sans les rémunérer pour ce travail supplémentaire. C'est donc sur le terrain du salariat que se situe le danger. Le contrat de travail est, en effet, l'expression d'un accord de volonté par lequel la prestation de l'un oblige l'autre à une contrepartie. En clair, au travail du salarié répond le salaire versé par l'employeur. Or, avec la journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés, vous instituez le principe même du travail supplémentaire non payé, autrement dit le travail gratuit, la « corvée », ont dit certains de mes collègues. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Dès lors, pourquoi ne pas, à l'avenir, supprimer d'autres jours fériés supplémentaires au nom de la solidarité ? La suppression d'un jour férié va également être le prétexte à la remise en cause des accords et conventions passés sur la mise en place des 35 heures. La réouverture des discussions sociales sera l'occasion pour certains secteurs de revenir sur les modalités négociées de réduction du temps de travail qui ne sont plus conditionnées à la réduction de charges sociales, en vertu de la loi Fillon de janvier 2003 sur l'assouplissement des 35 heures. La suppression d'un jour férié va permettre également de remettre en cause les accords obligatoires qui encadrent le temps partiel, issus de la loi Aubry II. Pour les branches professionnelles qui ne renégocieront pas, eu égard à la lourdeur de telles négociations sociales, ce sera une perte financière, car les entreprises seront davantage imposées, sans possibilité d'engranger de la richesse. L'instauration d'un jour travaillé non payé ou d'heures supplémentaires de travail non rémunérées est aussi contraire au principe de la liberté contractuelle puisque vous intervenez par la loi dans la relation contractuelle : les salariés n'ont pas signé leur contrat de travail en sachant qu'il y aurait un jour de travail à fournir gratuitement. Vous remettez ainsi en question les contrats individuels de travail signés par des millions de salariés et violez le principe de liberté contractuelle. Je me demande si vous n'êtes pas en train de commettre la même erreur qu'avec les « recalculés ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Le jour férié travaillé non payé viole non seulement le principe d'égalité devant la loi et l'impôt, mais également le Préambule de la Constitution de 1946, qui proclame « la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Parmi les revenus du travail, seuls les salariés et les fonctionnaires vont contribuer à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées. Les professions libérales, les agriculteurs, les artisans en seront, quant à eux, exonérés, de même, d'ailleurs, que les retraités. Pourquoi en sont-ils exclus : ne sont-ils pas exposés au risque de la dépendance et du handicap ? De telles discriminations dans la poursuite de l'intérêt général ne sont justifiées par aucune différence de situation. Elles constituent une violation manifeste du principe constitutionnel d'égalité, notamment devant l'impôt, et sont contraires à la notion de financement universel. Même si votre gouvernement est dorénavant doté d'un ministre de la cohésion sociale, ce projet de loi porte les stigmates du décalage flagrant entre vos discours - et ceux du Président de la République - et la réalité de votre politique. C'est encore une occasion manquée pour la cohésion nationale, le progrès social et la solidarité et l'égalité des droits entre tous les citoyens, quels que soient leur âge et leur capacité d'autonomie. Pour résumer, le présent projet ne doit pas être discuté, pour cinq raisons. La première est qu'il n'a fait l'objet d'aucune négociation. Les Allemands ont mis dix ans pour instaurer un tel système qui, d'ailleurs - et, manifestement, votre directeur de cabinet le sait, madame la secrétaire d'Etat - est lourdement déficitaire. Vous savez fort bien également que nous ne pouvons pas comparer notre système de soins avec celui de notre voisin outre-Rhin. Le régime d'assurance collective allemande n'est basé que sur la négociation sociale entre les employeurs et les employés. La construction de la solidarité française depuis 1945 est tout autre. Nous ne pouvons donc pas comparer les deux dispositifs. La deuxième raison pour laquelle le présent projet ne doit pas être discuté est qu'il n'a fait l'objet d'aucune évaluation, pas même du transfert de compétence aux départements. Or, les premiers résultats de la gestion de l'APA à l'échelon départemental montrent qu'il existe des risques d'inégalités. Nous proposerons d'ailleurs un amendement pour que soit menée une analyse de fond avec l'ensemble des départements sur les politiques sociales en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées pour voir si ces risques peuvent être, sinon effacés, du moins fortement diminués. La troisième raison est qu'il n'existe aucune réflexion de fond qui, à partir de la définition du droit à compensation comme droit universel, aurait permis la mise en place d'un projet solidaire avec toutes les personnes en perte d'autonomie. La quatrième raison est que ce projet poursuit la casse du droit du travail et la cinquième, qu'il est inégalitaire tant dans son mode de financement que dans la prise en charge des soins selon le régime dont relèveront les personnes âgées. Face à ce lourd réquisitoire, un peu de courage, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat ! Il faut surseoir à la discussion de ce texte, engager des négociations et mettre en place, dans le même temps que l'on discutera de la réforme de l'assurance-maladie, le financement de la prestation « handicap invalidité dépendance ». A défaut, et dans les conditions que nous avons décrites, nous conclurons à l'irrecevabilité du projet de loi de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées et nous vous demandons de retirer votre projet de loi et d'inscrire immédiatement un plan personnes âgées dans l'ONDAM médico-social. Face aux besoins immenses des personnes âgées, il est de votre responsabilité, je le répète, d'inscrire immédiatement un plan d'urgence dans l'ONDAM médico-social. Nous vous demandons instamment de retirer votre projet de loi parce qu'il est dangereux pour l'assurance maladie, les personnes âgées et les personnes handicapées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)"

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