mardi 16 mai 2006

Motion de censure


Aujourd'hui, à l'Assemblée Nationale, une Motion de Censure contre le Gouvernement a été examinée. C'est François Hollande qui a pris la parole au nom du Groupe Socialiste. Dans son discours il est évidement revenu sur la ridicule affaire "clearstream" mais surtout sur la politique désastreuse conduite par le Premier Ministre depuis près d'un an. Trouvez ci-joint la retranscription de ses propos :
M. François Hollande – Monsieur le Premier ministre, vous êtes en place depuis moins d’un an et votre gouvernement a déjà essuyé deux épreuves majeures : des émeutes urbaines d’une ampleur et d’une durée inégalées et un conflit social sur le CPE qui vous a aliéné la jeunesse et vous a contraint à reculer après plusieurs semaines d’obstination qui ont coûté cher au pays. À eux seuls, ces échecs auraient dû justifier votre départ (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), mais vous avez considéré qu’ayant déjà perdu la confiance des Français, il vous restait au moins celle du chef de l’État sans avoir besoin de vérifier celle du Parlement.
Et voilà qu’éclate une affaire qui plonge notre pays dans une crise politique, institutionnelle et morale qui compte parmi les plus graves de la Ve République parce qu’elle atteint l’État lui-même, ses institutions, son fonctionnement, son autorité. C’est le sens même de la censure que de faire cesser cette situation insupportable pour le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Le Parlement n’est pas un tribunal, et il appartiendra à la justice d’établir la vérité, de remonter la chaîne des responsabilités et d’en tirer toutes les conséquences pénales. Mais nous savons d’ores et déjà que l’État a utilisé des informations à des fins de déstabilisation politique, et selon des procédures contraires aux règles et aux usages. Dès lors, nous devons poser quelques questions essentielles. Monsieur le Premier ministre, pourquoi alors que vous étiez ministre des affaires étrangères, avez-vous diligenté en janvier 2004 une enquête sur des personnalités politiques en utilisant un officier général spécialiste du renseignement, membre du cabinet de la ministre de la défense, tout en demandant explicitement à celui-ci de ne pas en référer à celle-ci ? Pourquoi les services officiels n’ont-ils pas été saisis, pas plus que la justice, alors que selon l’article 40 du code de procédure pénale toute autorité publique dans l’exercice de ses fonctions qui acquiert la connaissance de délits est tenue d’en donner avis sans délai au procureur de la République ? Pourquoi, devenu ministre de l’intérieur en juillet 2004, saisissez-vous la DST sans l’informer de l’existence de l’enquête parallèle conduite par le général Rondot ? Pourquoi des personnalités citées dans les listings n’ont-elles pas été immédiatement prévenues des résultats de ces investigations, d’autant plus qu’elles les mettaient hors de cause ? Pourquoi le Premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin, n’a-t-il pas lui aussi été informé ? Pourquoi, enfin, votre actuel ministre de l’intérieur, dont je m’étonne d’ailleurs de l’absence, attend-il janvier 2006 pour saisir la justice…Pourquoi attend-il pour se constituer partie civile alors qu’il est informé depuis au moins deux ans de l’enquête de la DST ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Toutes ces questions appellent des réponses devant le Parlement.
Nous sommes dans une affaire d’État parce que les chaînes de commandement politiques ont été délibérément brisées, que les procédures administratives et judiciaires ont été volontairement contournées, voire détournées, et que les droits des personnes, dont certaines sont ici, ont été gravement mis en cause. Nous sommes dans une affaire d’État parce que des services secrets ont été utilisés à des fins de passions politiques parce que l’État lui-même a été pris en otage, accaparé par des clans dans le cadre d’un conflit personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Monsieur le Premier ministre, vous en portez la responsabilité en raison de vos fonctions antérieures de ministre des affaires étrangères et de ministre de l’intérieur. Vous la partagez avec le numéro deux du Gouvernement, vraie fausse victime d’une opération qu’il a contribué lui-même à relancer pour vous atteindre, avec succès. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mais l’affaire d’État débouche sur une crise politique importante qui empêche votre gouvernement de travailler utilement dans l’intérêt du pays. Comment faire coexister dans la même équipe un Premier ministre soupçonné d’avoir déstabilisé le numéro deux de son équipe, et un ministre de l’intérieur qui engage une procédure judiciaire dont le premier effet est de vous viser, vous, le chef du Gouvernement ? Comment faire vivre un Gouvernement dans un pareil climat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Comment laisser plus longtemps s’amplifier, au gré des révélations quotidiennes, un scandale qui empêche le Gouvernement, tel qu’il est composé, de poursuivre sereinement sa tâche ? Surtout quand les rumeurs naissent et courent au sein même de l’exécutif ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Pas plus tard que dimanche, votre ministre des affaires sociales, Jean-Louis Borloo, faisait part de sa disponibilité pour vous remplacer. Et vous voudriez faire croire qu’il règne un climat serein au Gouvernement ? Le ministre de l’intérieur, le même jour, disait attendre la prochaine révélation de presse pour savoir s’il allait quitter le Gouvernement. Et comment admettre que soient utilisés par vos propres ministres, pour caractériser l’ambiance qui règne au Gouvernement, des mots invraisemblables ? C’est le ministre de l’intérieur – et pas l’opposition ! – qui évoque « des officines, des comploteurs et des manipulateurs ». C’est votre ministre de la défense – où est-elle ? – qui se présente comme une victime que l’on voudrait atteindre parce qu’elle serait susceptible de vous remplacer. C’est votre ministre délégué aux collectivités locales – mais où est-il ? – qui parle, dimanche, d’une « tentative de meurtre politique ». Ce n’est plus un Gouvernement : c’est un champ de bataille ! Et où trouver de la solidarité quand la haine est devenu le sentiment commun ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs)
Vous voudriez faire croire qu'il serait possible, avec un tel attelage, de donner confiance aux Français quand votre gouvernement en est totalement dépourvu, de susciter le respect du peuple, quand tout est permis au sommet de l'État. Et que dire de l'image de la France à l'étranger, au sujet de laquelle la présidente du Medef elle-même vous met en garde ? Comment admettre plus longtemps ce délabrement, cette déconsidération, ce délitement des institutions, et même de la politique, que personne – au-delà des affrontements entre la droite et la gauche – ne peut accepter de voir réduite à des coups tordus, des machinations et des manipulations. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)
Dans toute démocratie digne de ce nom, une initiative aurait été prise pour changer la donne, purger la crise et retrouver la sérénité indispensable au service du pays. La logique et la clarté exigent à tout le moins un changement de gouvernement. Mais rien ne bouge. Tout se maintient, parce que chacun, au sein même de ce gouvernement, se tient. C'est là que la crise politique débouche – et vous en portez seul la responsabilité – sur une crise institutionnelle, puisque le mécanisme de la responsabilité ne joue plus. Le chef de l'État vous confirme comme Premier ministre, sans rendre compte au pays de ce choix, et sans décourager vos successeurs virtuels de se préparer. Vous-même, dans un isolement qui n'a rien de splendide, vous efforcez de poursuivre votre mission sans oser demander la confiance de l'Assemblée nationale, ce qui aurait pourtant permis de voir si vos amis vous l’accordaient ! Et c’est pourquoi nous déposons, nous, cette motion de censure, qui va permettre de clarifier la situation.
Quant au Président de l'UMP, numéro deux du Gouvernement, qui se prétend victime d'apprentis comploteurs – mais lesquels ? – et qui a déclenché la déferlante judiciaire qui vous atteint de plein fouet, il choisit de rester au ministère de l'intérieur pour mieux se protéger – il l'avoue lui-même – (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Ce qu’il cherche, c’est d’abord sa propre sécurité politique, tout en menant campagne pour la présidentielle – et c’est grave ! – aux frais du contribuable et de l'État… (Mêmes mouvements)
M. François Bayrou - C’est vrai.
M. François Hollande - Ce n'est plus de l'habileté mais de la duplicité, et cela mérite aussi qu’on le condamne. Ainsi tous ceux qui ont compétence au sommet de l’État pour agir se dérobent : le Président de la République, par confort personnel ; le Premier ministre, par indifférence à l'égard du suffrage universel, dont, d’ailleurs, il ne procède pas lui-même ; le numéro deux du Gouvernement, par calcul électoral. Dès lors, aux termes mêmes de notre Constitution, il revient à l'Assemblée nationale d'exercer la responsabilité et c’est la fonction de cette motion de censure. Puisque le chef de l’État ne veut pas changer de gouvernement, puisque le Premier ministre ne pose pas la question de confiance, puisque le Président de l’UMP préfère l’arrangement à la rupture, alors, c’est au Parlement, en votant la censure, de dénouer la crise et de stopper le processus qui abîme aujourd’hui la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs)
C'est pourquoi la motion de censure, que je présente ici, au nom du groupe socialiste, des radicaux de gauche et des Verts, est l'instrument de la clarification. Elle vise à tirer toutes les conséquences de comportements inadmissibles en démocratie, ainsi que toutes les conclusions de l’impossibilité dans laquelle se trouve le Gouvernement de continuer sa tâche.
Elle sanctionne aussi vos choix économiques et sociaux, qui ont affaibli le pays et vous ont placé au plus bas niveau de popularité de toute la Ve République. Elle est tournée vers les intérêts de la France. Tous ceux qui la voteront en conscience contribueront à sortir le pays de l'impasse (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP). Par contre, tous ceux qui ne la voteront pas, seront considérés comme soutenant Dominique de Villepin à la tête du Gouvernement, au risque d'amplifier la crise sociale et morale. Et ils en rendront compte, le moment venu, devant les électeurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Au-delà de notre vote d'aujourd'hui, nous mesurons, les uns et les autres, l'intensité du trouble qui traverse notre pays : il s'interroge sur sa place en Europe – et le référendum du 29 mai 2005 en a été le signe ; il refuse le libéralisme comme modèle de référence, et le conflit sur le CPE en a été l'illustration ; il se pose la question essentielle de son identité et de la capacité à vivre ensemble, et les émeutes urbaines en ont été l'un des révélateurs ; il doute de la volonté du politique de prendre la mesure de la mondialisation, et la succession des alternances depuis vingt ans l’a démontré. Bref, tout appelle à une meilleure maîtrise des enjeux fondamentaux qui se posent à la France ; tout commande un débat « projet contre projet » sur les questions essentielles de l'égalité, de la laïcité, de l'éducation, de l'environnement, de l'énergie. Tout exige de faire de la démocratie l'objectif de l'action publique et les conditions de sa réussite. Au lieu de cela, que voyons-nous ? L'exécutif tout entier, par ses comportements, par ses silences comme par son irresponsabilité, fait subir une épreuve terrible aux Français, dont il ne tient qu'à l'Assemblée nationale qu'elle s'arrête. C'est vous, et votre gouvernement, qui créez la défiance. Vous prenez le risque, par la tempête que vous levez, de gonfler encore les vents mauvais de l'incivisme et de l'extrémisme.
La censure, c'est aussi un sursaut républicain pour revenir à l'essentiel. Et d'abord à l'immédiat et à l'urgent, c'est-à-dire à tout ce qui fait la vie quotidienne des Français, fatigués d'une affaire qui les désole, mais harassés, surtout, par les effets de votre mauvaise politique et sociale. Sur l’emploi, votre méthode, c’est d’afficher des résultats en trompe-l'œil sur le chômage, alors les annonces de suppressions d'emplois se multiplient. Aujourd’hui même, c’est la SOGERMA, filiale d’EADS, entreprise dans laquelle l'État joue un rôle majeur, qui ferme son site de Mérignac. En l’espèce, je vous demande d'aller au-delà des proclamations convenues et de contraindre le Président d'EADS, M. Forgeard, que le Gouvernement a porté à la tête de cette entreprise – avec M. Gergorin, dont vous connaissiez parfaitement, dès cette époque, le rôle dans la déstabilisation de l’État – (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs) à revenir sur cette décision de fermeture. Le vrai scandale d'EADS, il est là, dans les mille emplois supprimés par incompétence des dirigeants à régler une crise de succession, trop occupés qu’étaient certains d’entre eux à fomenter une crise au sommet de l’État. Vous parlez d’emploi, quand, chaque jour, de nouveaux plans sociaux s’annoncent et que, dans nos circonscriptions, nous sommes assaillis par les difficultés qui en découlent. Vous annoncez 400 000 CNE, mais combien d’emplois ont été supprimés ? Qu’avez-vous fait pour lutter contre la précarité et les licenciements sans motifs ?
Qu’avez-vous fait pour limiter les conséquences de la hausse des prix du carburant et du gaz ? Qu’est devenu le « ticket transports » pour les salariés, annonce sans suite d’il y a plus de huit mois ? Et vous voudriez que l’on vous croie alors que toutes vos annonces sont restées lettre morte. Et dois-je parler de la crise des banlieues, alors que vous vous êtes contentés de mettre le couvercle sur la cocotte-minute ? On append que les jeunes de ces quartiers ont été convoqués à l’ANPE, et que ça s’est arrêté là ! Tel est le bilan de votre politique sociale.
Quant à l’insécurité, et nous aurions aimé que votre ministre de l’intérieur soit là pour nous en parler, combien de faits divers atroces constate-t-on depuis des mois ? (Huées et claquements de pupitre sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur plusieurs bancs du groupe UDF) Or je n’ai pas oublié, lorsque nous étions aux responsabilités, que chaque séance de questions au Gouvernement donnait lieu à une exploitation éhontée de ce type de drames (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le ministre fait part de sa compassion pour les victimes : encore heureux ! Mais cela ne suffit pas lorsque l’on se contente de se payer d’effets d’annonce depuis quatre ans ! Tel est le bilan de votre politique contre l’insécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
Et que dire de votre gestion des finances publiques : en quatre ans, l’endettement, en proportion de la richesse nationale, a augmenté de dix points ; les déficits de l’État et de la sécurité sociale atteignent des niveaux historiques et celui du commerce extérieur dépasse 25 milliards pour 2005 !
C’est face à ce bilan et dans ce contexte, pesant, de précarité, d'incertitude, de peur du déclassement, que l'affaire qui vous étreint et vous étouffe, s'installe. Cette inquiétude face au risque de déclin, mesurez là ! Quand l'indignation s’ajoute aux inégalités et aux injustices, alors tout est possible – et vous n’avez pas de leçons à nous donner à cet égard ! (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP) Le 5 mai 2002, contre l’extrémisme, nous avons pris nos responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Vous, vous avez reçu mandat de défendre la République ! Qu’en faites-vous aujourd’hui ? Vous la salissez par votre comportement. Respectez au moins le mandat de 2002 : luttez contre l’extrémisme et défendez la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Beaucoup dans cette assemblée, au-delà des clivages politiques, ressentent avec douleur le malaise que notre pays connaît ; beaucoup éprouvent avec lucidité le besoin de clarification, de transparence, de vérité. Chacun constate avec inquiétude les effets de ce délabrement au sommet de l'État ; chacun reconnaît que notre pays interpelle ses dirigeants sur des comportements inadmissibles.
Pouvons-nous, en toute bonne foi, attendre 2007 avec un Gouvernement constitué comme il l’est, avec un numéro un et un numéro deux qui se déchirent, avec des bandes, avec des clans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) Pouvons-nous vivre encore un an dans ce climat irrespirable ? Vous êtes d’ailleurs venus bien peu nombreux, Mesdames et Messieurs de la majorité, soutenir votre Premier ministre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste) Sans doute vos collègues qui ne sont pas là ne voteront-ils pas la censure ; mais d’ores et déjà, ils ne vous accordent plus leur confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Au-delà de l’affrontement gauche–droite, la question est posée à tous. Que ceux qui veulent mettre un terme à la crise votent la censure et accordent au moins leur confiance à la démocratie et au Parlement. Que ceux qui ne la voteront pas la craignent : elle viendra en 2007. (Les députés du groupe socialiste et M. Mamère se lèvent et applaudissent longuement)

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