jeudi 19 octobre 2006

L'échec du Ministre de l'Intérieur

Le dossier a défrayé la chronique cet été. Confronté à des situations de plus en plus explosives dans de nombreuses écoles et à l'émotion suscitée par les expulsions de jeunes enfants, le Ministre de l'Intérieur a déclenché un processus de régularisation des parents d'enfants scolarisés. Hélas, la situation reste très incertaine et les associations ont pointé les critères fluctuants voire l'arbitraire de cette procédure. Avec plusieurs de mes collègues Députés, nous avons souhaité enquêter sur l'application de cette "circulaire Sarkozy".
PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de traitement des dossiers de régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, parents d'enfants scolarisés, dans le cadre de la circulaire du 13 juin 2006
PRESENTEE par Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE, Jack LANG, Christophe CARESCHE, Serge BLISKO, Jean-Pierre BLAZY, Martine CARRILLON-COUVREUR, Bernard DEROSIER, Bernard ROMAN, Pierre COHEN et les membres du groupe socialiste et apparentés
EXPOSE DES MOTIFS
Le 13 juin 2006, a été publiée une circulaire posant les conditions d'une régularisation de certains étrangers en situation irrégulière.
Comme chacun le sait, cette circulaire a été prise sous la pression d'une opinion publique révoltée par le sort des enfants d'immigrés, certes en situation irrégulière mais dont la scolarisation dans les écoles de la République manifestait, de la part des parents, un désir réel et constructif d'insertion dans la société française. De fait, l'arrestation d'enfants sur les lieux de l'école, voire même les interpellations effectuées en classe, avaient de quoi émouvoir même si elles s'appuyaient sur une autre circulaire, celle du 21 février 2006 relative aux conditions d'interpellation d'un étranger en situation irrégulière, à sa garde à vue et à la réponse pénale.
Ainsi, arguant de son souci d'apaisement et d'humanité, le ministre de l'intérieur a-t-il fixé les conditions qui pouvaient être prises en compte par les préfets pour régulariser à titre exceptionnel les enfants scolarisés et leur famille. - Résidence en France depuis au moins deux ans à la date de la publication de la circulaire - Scolarisation effective en France d'un enfant au moins, y compris en classe maternelle - Naissance en France d'un enfant ou résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 13 ans, - Contribution effective du ou des parents à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil . - Réelle volonté d'intégration de ces familles, caractérisée notamment par, outre la scolarisation des enfants, leur maîtrise du français, le suivi éducatif des enfants, le sérieux de leurs études et l'absence de trouble à l'ordre public. - Absence de lien de l'enfant avec le pays dont il a la nationalité
Ces conditions ne sont pas imposées au préfet qui semble ainsi garder une liberté d'appréciation
Il convient de s'interroger sur le fait de savoir si les dossiers ont été instruits en fonction des critères énoncés par la circulaire ou en fonction d'objectifs chiffrés préalablement établis par le ministère de l'intérieur.
En effet, alors que le texte de la circulaire était daté du 13 juin 2006, que l'expiration du délai de retrait des dossiers n'expirait que le 13 août et que des centaines de dossiers arrivaient encore chaque jour, le ministre d'Etat annonçait, lors de sa conférence de presse du 24 juillet 2006, le dépôt total de 20 000 dossiers de régularisation et la régularisation de 6 000 familles. Il posait ainsi un pourcentage d'admission a priori.
Le 18 septembre, il annonçait finalement la régularisation de 6 924 personnes dans le cadre de sa circulaire du 13 juin consécutive au dépôt de 33 538 dossiers.
Cette annonce a déclenché un véritable tollé en raison de la similitude du chiffre avancé au mois de juillet et le résultat constaté au mois de septembre, alors même que l'importance des demandes en règle avait été sous évaluée et que les dossiers n'avaient pas été tous examinés. A tout le moins a-t-elle des raisons d'étonner sauf à considérer que la logique du chiffre l'a emporté sur la gestion humanitaire exceptionnelle pourtant annoncée.
En outre, il est à craindre que, pourtant placées dans des situations identiques, certaines familles ont été régularisées et d'autre pas, sans qu'il n'existe aucune justification à ce traitement discriminatoire.
Dans un courrier en date du 4 septembre 2006 rendu public le 14 septembre, le Président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) a exprimé en ces termes au ministre son inquiétude à ce sujet : " si l'absence d'uniformité de l'application de la législation sur le territoire national corrélative à la diversité des pratiques administratives relevées est liée au cadre territorial de l'action préfectorale ainsi qu'au pouvoir d'appréciation dont chaque préfet dispose, j'appelle néanmoins votre attention sur les contraintes attachées au principe d'égalité qui commandent un traitement égal des personnes placées dans une situation comparable. ".
Outre cette question du traitement égalitaire des familles, il faut s'inquiéter du devenir des dossiers encore en cours -certains intéressés sont convoqués encore courant octobre- et du sort fait aux familles qui, de bonne foi, ont déposé leur dossier " à visage découvert " et risquent, en application de la directive de février 2006, toujours d'actualité, d'être frappées de reconduite à la frontière à plus ou moins brefs délais.
Par ailleurs, il est également difficile de ne pas s'interroger sur le sort des jeunes majeurs scolarisés qui n'étaient certes pas visés par la circulaire mais qui auraient pu faire l'objet de la même démarche humanitaire que leurs plus jeunes frères et sœurs, s'agissant d'une mesure prise à titre exceptionnelle. Cette question devra nécessairement être posée pour les personnes qui étaient mineures lors du dépôt de leur dossier et qui sont devenues majeures depuis.
Enfin, d'autres points méritent d'être étudiés par la commission d'enquête, notamment : certaines lettres de refus ne seraient pas motivées ou encore certains refus se fonderaient sur l'examen de critères établis par la circulaire mais non par la loi.
La commission d'enquête que nous vous demandons de créer, Mesdames et Messieurs les députés, est un devoir que nous avons à l'égard des nombreuses familles déboutées. C'est pourquoi, nous vous demandons d'adopter la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article unique En application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, est créée une commission d'enquête de trente membres chargés : - d'évaluer l'application, selon les départements, de la circulaire du ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire en date du 13 juin 2006, indiquant une série de critères visant à la régularisation des familles étrangères installées sur notre territoire et ayant un ou plusieurs enfants scolarisés en France ; - d'établir si la circulaire a assoupli ou durci les critères de la loi ; - de vérifier si certains refus n'ont pas été motivés ; - d'apprécier les conséquences pour les familles et particulièrement pour les enfants de l'obtention comme du refus d'accorder un titre de séjour leur permettant de résider sur le territoire de la République ; - d'apprécier les différences de décision au sein d'une même famille ; - d'étudier la situation des jeunes majeurs scolarisés en France et qui ne peuvent bénéficier des dispositions de la circulaire citée ci-dessus ; - de proposer les éléments d'une harmonisation sur l'ensemble du territoire de l'application de cette circulaire ; - d'avancer des propositions pour sortir de l'impasse l'ensemble des familles qui n'ont pas obtenu de régularisation au titre de la dite circulaire alors que ces familles répondent aux critères.

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