jeudi 12 octobre 2006

L'éthique prime sur l'économique...


Aujourd'hui, l'Assemblée Nationale reprenait la discussion sur la Proposition de Loi du Groupe Socialiste visant à pénaliser les propos niant la réalité du Génocide de 1915 contre les Arméniens. Après le scandaleux report du 18 mai dernier (voir la note précédente "Discours à la Tribune de l'Assemblée Nationale"), ce texte a finalement été adopté par une majorité de Députés.
Parmi mes collègues qui sont intervenus dans cette suite de notre débat parlementaire, j'ai particulièrement noté les arguments de Jean-Pierre Blazy, Député du Val d'Oise qui a notamment expliqué en quoi ce texte n'était pas un empêchement pour les historiens de poursuivre leurs recherches sur le sujet. Voici le texte de son intervention : "Nous reprenons donc l’examen de cette proposition de loi socialiste dont la discussion générale avait été malheureusement interrompue en mai dernier et qui permet, tirant en cela les conséquences de la loi du 29 juillet 2001 qui reconnaît le génocide arménien, de sanctionner la négation de ce génocide, sur le modèle de la loi Gayssot. Le chef de l'État, en déplacement en Arménie en septembre dernier, a souligné l'importance de la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, avant son entrée dans l'Union européenne. Mais, à propos de la présente proposition de loi, il a aussi déclaré que la France avait officiellement reconnu le génocide par la loi qui s'impose à tous et que « le reste » relevait plus de la polémique que de la réalité juridique. Le Président se trompe. Il ne s'agit pas de polémique : en l’état actuel de notre droit, le non-respect de la loi de 2001 ne peut pas être sanctionné – nous attendons d’ailleurs avec intérêt une décision prochaine de la Cour de cassation. Il faut voter cette proposition de loi pour garantir le caractère effectif de la loi de 2001, pour lui assurer un caractère normatif et pas seulement déclaratif, sans quoi le négationnisme du génocide arménien peut s’exprimer en toute impunité. Le 24 avril dernier à Lyon, à l'occasion de l'inauguration d'un mémorial arménien, on a vu fleurir des pancartes « il n'y a pas eu de génocide ». Ce n’est plus tolérable, et nous devons avoir les moyens de sanctionner de tels propos. Personne – et certainement pas moi, ancien enseignant d'histoire – ne conteste que l’histoire doit être faite par les historiens. Ce n'est pas au Parlement d'écrire l'histoire. Mais ce ne peut servir d’argument en l’occurrence, puisque la présente proposition de loi ne cherche pas à imposer une histoire officielle. Les historiens ont suffisamment démontré la réalité des massacres perpétrés en Arménie. En 2001 le Parlement a finalement reconnu l'histoire des historiens. Mais les termes du débat sont essentiellement de nature juridique et politique : les éléments de la définition du génocide, à savoir une intention explicite visant à une extermination systématique en raison de l'appartenance des victimes à une ethnie, sont-ils réunis ? Ce sont les représentants de la nation qui ont tranché ce débat, et ce n'est pas risquer d'effacer le caractère exceptionnel de la Shoah, comme le prétend l'historien René Rémond, que de reconnaître que les massacres de 1915 ont constitué le premier génocide du XXe siècle. On ne peut pas affirmer comme Pierre Nora, historien et cofondateur de l'association Liberté pour l'histoire, que « légiférer sur le génocide arménien, c'est stériliser l'histoire ». La loi Gayssot n'a pas empêché les historiens de poursuivre leur travail sur la Shoah. Certains historiens dénoncent les lois mémorielles. Autour de René Rémond, ils ont manifesté leur opposition à l'article 4 de la loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés et demandé l'abrogation de la loi Gayssot, de la loi Taubira et de la loi reconnaissant le génocide arménien. Une pétition a été lancée en décembre 2005 à la suite de la mise en accusation de l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau pour un livre sur les traites négrières qui contestait l'appellation de génocide appliquée à l'esclavage. Certes, on ne peut cautionner ce genre d'attaques, aujourd'hui abandonnées, contre le travail sérieux et reconnu d'un historien qui n'est pas un négationniste ; certes, on comprend l'émotion qu’elles ont pu susciter. Mais la pétition des historiens se justifie-t-elle pour autant ? M. Devedjian a prétendu tout à l’heure avoir fait condamner Bernard Lewis, le spécialiste du Moyen-Orient. C’est une contrevérité. Vous ne l’avez pas fait condamner. Votre amendement visant à exclure de l'application de cette proposition de loi les travaux universitaires et scientifiques est inutile, car elle ne vise pas les chercheurs dont personne n'imagine qu'ils soient des négationnistes. Le négationnisme sert toujours les fins d'un mouvement idéologique extrémiste, et c’est cela qui est visé. C'est pour cette raison que nous sommes contraints de passer par la loi, une loi claire et ferme, qui le serait moins si votre amendement était voté. Les historiens ont raison de refuser que le législateur cherche à corriger l'histoire, mais ce n'est pas le cas de la loi Gayssot, de la loi Taubira ou de la loi sur la reconnaissance du génocide arménien. En revanche, en sanctionnant la négation du génocide arménien, le Parlement est parfaitement dans son rôle : il proclame un devoir, mais aussi un droit de mémoire, qui concerne bien des Français, descendants des victimes du génocide. Il ne s'agit pas de conforter ou de flatter une communauté particulière : cela fait un siècle que les Arméniens sont en France, et ils se sont parfaitement intégrés. Il ne s'agit pas de cultiver je ne sais quel communautarisme de la mémoire. Il ne s’agit pas non plus de transformer des « jugements historiographiques en délit », selon l’expression de René Rémond. Les historiens ont écrit et continueront d’écrire l’histoire. Mais les lois solennisent la reconnaissance de l’histoire. Elles ont un rôle éducatif. Nous sommes de plus en plus souvent contraints de passer par la loi, même s'il appartient d'abord, dans l'idéal, à l'enseignement et aux médias d'entretenir la mémoire collective et nationale. Nous voulons sanctionner la négation d'une réalité historique. Ce texte ne cherche ni à imposer une histoire d'État, ni à stigmatiser la Turquie. Au contraire, il veut contribuer à la réconciliation entre les deux communautés, en rendant justice aux victimes du génocide arménien. Nous avons un devoir de vérité et non de revanche. Seule cette préoccupation doit nous guider aujourd'hui. Parce que je crois que nous ne pouvons plus tolérer la diffusion, dans un climat de haine et de tensions communautaires, de thèses et de propos niant une réalité historiquement avérée, je voterai en conscience cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe UMP)."
Retrouvez mon intervention lors de la première partie du débat parlementaire : http://www.martinedavid.fr/2006/05/19/51-discours-a-la-tribune-de-l-assemblee-nationale

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